mercredi 26 juin 2013

LA GLOIRE DE RUBENS

LA GLOIRE DE RUBENS
Philippe Muray

Quelques notes (suite et fin)

P87
Des oiseaux ont bien tenté de picorer la grappe de raisin peinte par Zeuxis parce qu’elle avait l’air plus vraie qu’une vraie ; je frémis à l’idée de ce que je pourrais faire, moi, avec une femme signée Rubens, si les convenances ne me retenaient pas.

P91
Pour être aimé, deux solutions, pas trois : la réclusion cistercienne ou les fumigènes romantiques.

P104
« Dans tous les arts, écrit Proust, il semble que le talent soit un rapprochement de l’artiste vers l’objet à exprimer. Tant que l’écart subsiste, la tâche n’est pas achevée. »

P118
Il y a deux façons de méconnaître résolument son propre temps : soit on adhère comme un fou à tous les délires du moment, on s’engage, on se solidarise, on milite, on s’aveugle, on prend parti éperdument ; soit on se détourne du courant, on s’enfonce dans la contemplation, on ne veut rien savoir de ses maîtres pour mieux continuer à s’y plier. Tout-tragique ou tout-poétique ; dans les deux cas la même ferveur, la même passion d’esclavage, la même servitude de toute façon.

P119
La bête noire de la culpabilité, c’est le langage évidemment, elle préfère de loin la musique, elle en met partout, elle en rêverait dans tous les coins. Que la planète se transforme en une immense Fête, vaseuse et morne, de la Musique égalisante. Musique aujourd’hui, forme suprême de notre gâtisme consensuel ! « Viens, musique, emporte-moi avec toi et sauve-moi de cet effort douloureux pour trouver les mots » : ainsi chantait-on, déjà, au XVIIIe, quand on était poète, et romantique, et allemand.

P132
Le Mal n’est un être que si on le veut bien, c’est-à-dire si on l’appelle à tue-tête, et notamment en arrêtant pas de le dénoncer. Le Mal n’est Quelqu’un que si on en fait tout un plat en refusant d’en rire parce qu’on préfère jouir de le prendre au sérieux. Le démon se sent menacé chaque fois qu’on l’oublie cinq minutes, il connaît par cœur le puéril catéchisme de la pub : qu’on parle de lui, en bien, en mal, mais qu’on en parle, ça ne va pas plus loin. Être, pour lui, c’est d’abord être dénoncé.

P167
Tous les génies sont des esprits grossisseurs, c’est la raison pour laquelle on a tendance à les trouver grossiers.


P170
« Il faut mettre sa passion dans les choses où personne ne la met aujourd’hui », excellente recommandation de Nietzsche que nous n’avions pas besoin de connaître pour la suivre spontanément.

P174
Le protestantisme, c’est incontestable, a « sauvé les libertés humaines », et de la seule manière efficace : en supprimant les artistes (la conception du salut comme donné, et non gagné, implique que toute participation de l’être humain à son propre sauvetage est illusoire ; corrélativement, les œuvres, dans tous les sens du mot, deviennent inutiles).

P185
…Chaque fois, des musées entiers qui disparaissent ! Des centaines, des milliers d’œuvres, tableaux, sculptures, fresques ! Il faut repeupler ces murs déshabillés. Les toiles deviennent des arguments dans la controverse de fer et de feu qui a choisi l’Europe comme champ de bataille. Et les Jésuites sont les plus formidables acheteurs d’espaces publicitaires qu’on puisse imaginer. Bien après eux, on racolera pour des machines à laver, des bagnoles, des fringues, des barils de lessive et milles autres produits plus ridicules les uns que les autres, à l’aide d’une foule de filles nues. Alors pourquoi pas, dès maintenant, quelques paires de fesses pour la plus grande gloire de l’Église ?
       
Et qui serait capable de mettre en équivalence, sans ridicule, la beauté des femmes et celle de la Foi ?

Qui, sinon Rubens, la plus grande agence de communication de tous les temps ?



P187
La répétition est indispensable, et à tous les niveaux, en effet, puisque c’est elle qui signale la présence d’un style, c’est-à-dire quelque chose qui ne dépend pas du sujet traité, mais de la fréquence de réapparition de celui qui le traite.

Il n’y a de style que par la répétition, dans la répétition, pour le plaisir de se répéter, de se sentir de plus en plus répété, donc de plus en plus différent, à l’infini, jusqu’aux constellations.

P188
…personne ne savait plus alors que l’image du corbeau, dans une toile, loin d’annoncer des choses sinistres, était synonyme d’Espérance pour la raison que son cri, disait-on, ressemblait au mot latin « cras » qui signifie « demain ».

P189
« L’aristocratie conduit naturellement l’esprit humain à la contemplation du passé, et l’y fixe. La démocratie, au contraire, donne aux hommes une sorte de dégoût pour ce qui est ancien. » Tocqueville

P213
Quelqu’un qui ne fait jamais de sport ne peut pas être tout à fait mauvais.

P219
« Le charme d’une femme peut révéler beaucoup de choses à un artiste sur son art » (Bonnard)

P223
…parce que le nu, de toute façon, quelle que soit l’époque, quelles que soient les circonstances ou les baratins des civilisations, ne peut être que mythologique. Ni chaste, bien sûr, ni naturel, et encore moins innocent.

P227
« Un homme qui a le sentiment des fesses et des seins est un homme sauvé ! » (Renoir à propos de Rubens)

P231

On peut appeler « moderne » ce réflexe qui consiste à rendre proche un grand homme par la détresse qu’on lui suppose.