mardi 27 janvier 2015

SOUMISSION






p91
Vêtues pendant la journées d'impénétrables burqas noires, les riches Saoudiennes se transformaient le soir en oiseaux de paradis, se paraient de guêpières, de soutiens-gorge ajourés, de strings ornés de dentelles multicolores et de pierreries; exactement l'inverse des Occidentales, classe et sexy pendant la journée parce que leur statut social était en jeu, qui s'affaissaient le soir en rentrant chez elles, abdiquant avec épuisement toute perspective de séduction, revêtant des tenues décontractées et informes.

p154
Concernant la restauration de la famille, de la morale traditionnelle et implicitement du patriarcat, un boulevard s'ouvrait devant lui, que la droite ne pouvait pas emprunter, et le Front national pas davantage, sans se voir qualifiés de réactionnaires, voire de fascistes par les ultimes soixante-huitards, momies progressistes mourantes, sociologiquement exsangues mais réfugiés dans des citadelles médiatiques d'où ils demeuraient capables de lancer des imprécations sur le malheur des temps et l'ambiance nauséabonde qui se répandait dans le pays; lui seul était à l'abri de tout danger. Tétanisée par son antiracisme constitutif, la gauche avait été depuis le début incapable de le combattre, et même de le mentionner.
p218
Nietzsche avait vu juste, avec son flair de vieille pétasse, le christianisme était au fond une religion féminine.

p250
"-...Les seuls vrais athées que j'ai rencontrés étaient des révoltés; ils ne se contentaient pas de constater froidement la non-existence de Dieu, ils refusaient cette existence, à la manière de Bakounine: "Et même si Dieu existait, il faudrait s'en débarasser...", enfin c'étaient des athées à la Kirilov, ils rejetaient Dieu parce qu'ils voulaient mettre l'homme à sa place, ils étaient humanistes, ils se faisaient une haute idée de la liberté humaine, de la dignité humaine. Je suppose que vous ne vous reconnaissez pas, non plus, dans ce portrait?"
    Non, là non plus, en effet; rien que le mot d'humanisme me donnait légèrement envie de vomir, mais c'était peut-être les pâtés chauds, aussi, j'avais abusé; je repris un verre de Meursault pour faire passer.

p252
N'y a t'il pas au fond quelque chose d'un peu ridicule à voir cette créature chétive, vivant sur une planète anonyme d'un bras écarté d'une galaxie ordinaire, se dresser sur ses petites pattes pour proclamer: "Dieu n'existe pas"?

p260
À propos d'Histoire d'O
"L'idée renversante et simple, jamais exprimée auparavant avec cette force, que le sommet du bonheur humain réside dans la soumission la plus absolue..."

(+la suite)

ULTIMA NECAT Tome I








1980

p89
Pour faire une œuvre, seul compte formellement le principe de dilatation.

p93
Je ne dis pas comme Dostoïevski: puisque Dieu est mort, tout est permis. Je dis: puisque tout est fini, Dieu est permis.

p98
Marc-Aurèle, Pensées, 14: "Mourir,c'est perdre le présent, qui est un laps de temps infiniment bref. Personne ne perd le passé ni l'avenir, car on ne peut enlever à personne ce qu'il n'a pas."

p104
Il faudrait tout de même que je commence à n'être plus timide et à m'approprier mes propres idées avant que d'autres ne le fassent.





1981

p129
 Ma tête n'est pas très solide; elle est faite, comme celle des autres, pour recevoir dans sa vie entière cinq ou six informations, ainsi que cela se passait autrefois, et depuis toujours. Mais voilà qu'elle est bombardée de milliers de messages, chaque jour, et qu'elle ne s'y adapte pas. Elle est comme ces monuments, ces ruines arrêtées, qui se sont dressées pendant des siècles au milieu de terrains vagues et qui, aujourd'hui, sont coincées entre divers assauts,fer, béton, asphalte, manifestations variées de la technique, tenailles de l'oubli.

Moi qui ne suis pas, qui ne serai probablement jamais musicien, je pense immédiatement à des comparaisons musicales quand je pense à mon roman...

p130
Tenter de produire un aimant. Surmagnétiser le pôle, de sorte que la limaille du monde y soit attirée de plus en plus facilement. Les intenses dispersions de nos temps modernes imposent ce genre de rêve.

p140
...un peu de culture rapproche de la gauche, beaucoup en éloigne...





1982

p161
"Malheur à qui ne se contredit pas au moins une fois par jour" (Ecclésiaste)

p162
En somme, se faire aimer de la gauche puis se dévoiler. À partir de ce moment-là, on devient inoubliable.
    Un des préceptes fondamentaux pour accéder à l'immortalité.
(Et à la persécution)

p188
"Sans individus, c'est-à-dire sans répartition des possibles, il ne pouvait y avoir de temps" (Bataille). Et le temps, dit-il, c'est le désir, et le désir, c'est que le temps ne soit pas, et que le temps ne soit pas c'est le désir que les individus n'existent pas. Le tout ne veut pas le temps.

p202
Les morts-vivants pèsent d'un poids très agréable et très léger sur les vivants-morts





1983

p314
"Seuls les "grands" succès sont des succès de masse, et l'on ne comprend même plus que tout succès de masse ne peut être qu'un petit succès: car pulchrum est paucorum hominum [le beau appartient au petit nombre]." La conscience individualiste élimine les très grands hommes au profit des talents reconnus au milieu d'une collectivité d'hommes à peu près égaux. Or, dans nos civilisations tardives et raffinées, tout le monde a un peu de talent "et peut s'attendre à recevoir la part d'honneur qui lui est due".

p322
Le roman est périssable.
Comme le Monde. Comme l'Occident. Qui est ce que le Monde a de mieux en fin de compte.
Il est menacé par tout ce qui ne veut ni de l'ambiguïté ni de la relativité. Par tout ce qui veut l'Harmonie.
Par la pensée totalitaire.
Il est le doute, l'ironie, le suspens, la question, l'humour. L'inconciliabilité.  L'esprit. Le paradoxe. Le jeu. La liberté.

p341
Appétit de merveilleux de l'enfance opposé à l'esprit critique. "N'importe quel merveilleux est beau"...

p382
Comment ce qu'on porte sur soi sans mystère pourrait-il devenir chez un autre un objet de secret infini et pétrifiant, sinon au prix d'une immense falsification?

p384
Impression de misère hier soir à Beaubourg (lecture par deux comédiens et par H. lui-même de fragments de son livre). Fin absolue de tout ça. De ce type de littérature comme de ce genre de manifestations qui n'amène dans la salle que quelques amis emmerdés qui préfèreraient être chez eux en train de regarder la télé, et quelques semi-clochards poétisants.





1984

p403
Pourquoi je suis presque systématiquement et intuitivement du côté des vaincus. Raisons qu'il y a de se ranger du côté de ce qui meurt...Si je suis du côté de ce qui triomphe, je suis heureux mais je disparais. Si je suis du côté de ce qui disparaît, je suis malheureux mais je me laisse une chance de résister à la disparition. Si je suis avec le monde, je suis le monde. Si je suis contre le monde, je m'en différencie. La solitude la plus intense accompagne cette différenciation.

p414
égalité

p434
...Je dois mettre les possibilités d'humour du lecteur de mon côté...D'autre part, la fureur et les propositions insoutenables doivent être contrebalancées par la tendresse. Il faut trouver le ton pour ça. Sinon, pas de passeport..

Les couples usés jusqu'à la corde vivent sur un programme commun d'angoisse qui les excite perpétuellement de façon malsaine. Le repos passager d'un des partenaires paraît insupportable à l'autre qui s'empresse de le briser le plus rapidement possible. Ainsi: l'enfer est permanent au prix d'efforts conjoints et harmonieux. Les seuls moments de paix viennent de l'épuisement des forces de l'un et de l'autre, ils ne peuvent donc arriver qu'au terme de scènes atroces qui laissent "pantelants" l'homme et la femme provisoirement...





1985

p543
Cauchemar cette nuit trop beau pour ne pas être noté... I., fils ainé de N., est là aussi, en train de foutre le bordel un peu partout; je l'engueule mais ensuite le félicite, il vient de publier un livre (ce livre, c'est celui de Nabe que je viens de lire!!) qu'il ne m'avait évidemment pas fait lire en manuscrit, je lui dis qu'il a énormément de talent (ce que je pense de Nabe), mais qu'il doit faire attention de ne pas tomber dans toutes les conneries (antisémitisme) où il vient de tomber.

p544
Le seul critère en fin de compte pour savoir en cours de route si ce que vous écrivez tient le coup, c'est le test télé...N'importe quel film minable du soir vous paraît-il plus chatoyant, agité, captivant, que ce que vous êtes en train d'inventer? Plus sexuellement désirable, sensible, éclatant? N'hésitez-pas alors, ça va mal, vous êtes sur la mauvaise pente, votre livre ne tient pas devant la non-vie agitée télé.

p545
La poésie qu'on croit l'expression brute du génie humain en est la décadence lamentable.

Or c'est la mort des hommes réels qui produit l'effet que produit au cinéma la mort des vampires imaginaires.

p546
Si je n'éprouve jamais, envers ceux qui ont plus de succès que moi, le ressentiment de presque tout le monde, ce n'est évidemment pas par grandeur d'âme. Quoi alors? Je crois que c'est parce que je me suis toujours, en dépit de la réalité, pensé comme un vainqueur...Ce n'est donc pas par générosité que le ressentiment m'est inconnu, c'est par illusion. Par capacité de projection de moi-même dans un avenir de réussite. Par capacité de futuration optimiste (ou parano).

p559
Céline: "Il faut se dégoûter soigneusement des autres avant d'être bien fixé soi-même sur ce qu'on peut faire."

p575
L'opération socialiste "Touche pas à mon pote" uniquement soutenue par les lycéens. Il n'y a plus qu'eux qu'on peut faire descendre dans la rue. Sans idéologie puisqu'il s'agit d'enfants. Avec des trucs d'enfants. Ballons, musique, podiums, concerts. Et un seul mot d'ordre -antiracisme- absurde puisqu'il tombe sous le sens.
Dans un pays où il n'y a plus d'idéologie, tout se passe comme dans les pays où l'idéologie a triomphé (les totalitaires): les adultes disparaissent, l'enfant monte au premier plan (jeunesse hitlérienne, gardes rouges, etc. - enfants dénonciateurs des parents...) même si la cause, dans ce cas paraît juste, sainte, c'est la même logique qui innerve le mouvement.

Note d'une infinie banalité. Quand j'ai peur de ma mort, c'est que je crois que c'est moi qui serais mort. Or je ne m'emporterai pas dans la tombe.

p576
Pour une fois, je suis d'accord avec Breton quand il disait qu'on doit se taire si on cesse de ressentir.