Incroyable cette interview (ici) de Philippe
Sollers. Incroyable de suffisance. « La providence m’aidant… ». Incroyable de banalité également.
« J’ai anticipé le fait que la
lecture allait disparaître ». Quel nez ! « On assiste au triomphe du capitalisme
financier. » Quel pouvoir d’analyse !
Il n'y a plus de littérature mais je
continue à éditer nombre de jeunes auteurs talentueux....etc...etc...
Cela pourrait porter à rire, du moins
jusqu'à la question fatidique posée par la perspicace journaliste :
« Regrettez-vous d'avoir publié certains auteurs, comme Marc-Édouard
Nabe ou Philippe Muray ? » Je retranscris sa réponse telle
quelle : « Pas du tout. J’ai publié le meilleur texte de
Muray, Le XIXe Siècle à travers les âges. Le problème, c’est quand il
a voulu faire des romans inaboutis qui n’ont pas marché, puis il s’est très mal
entouré, des gens comme Elisabeth Lévy, Aude Lancelin. Marc-Edouard Nabe avait
quelque chose, puis ça a été un suicide. Stéphane Zagdanski aussi. Leur
problème, c’est qu’ils ont eu une mauvaise vie. La mauvaise vie, les mauvais
partenaires, on ne s’en rend pas tout de suite compte, mais après les sanctions
tombent : la maladie, la marginalisation, on devient sous influence… Chez
Muray, ça a été catastrophique. » En gros et si je comprends bien,
Philippe Sollers insinue que Philippe Muray est tombé malade et qu'il est mort
parce qu'il s'est mal entouré et qu'il a cessé d'être édité par Philippe
Sollers, qui avait, dans tous les cas, édité son meilleur livre.
Philippe Muray est mort d'un cancer du
poumon à l'âge de 60 ans parce qu'il fumait comme un pompier ! Si l'on
considère que l'échec conduit à la maladie, alors qu'en est-il de Pierre
Desproges, de Jacques Brel et j'en passe? Et qui est-il, ce Sollers, pour juger
de ce qu’est une bonne ou une mauvaise vie ?
D'ailleurs, la réponse ne se fait pas
attendre puisque le magazine Causeur, dirigé par Élisabeth Lévy justement, a
l'excellente idée de publier chaque mois un extrait du journal de Philippe
Muray que je reproduis ici :
« 5 décembre 1985. Ce
que veut Sollers, je le comprends enfin, je le savais depuis toujours, ce n’est
pas être un grand écrivain, ça ne lui suffit pas. Ce qu’il veut, c’est être le
dernier écrivain. Qu’après lui il n’y ait rien. Son aventure, selon
lui, ne prendra tout son sens qu’à cette condition. Ce qu’écrivent les autres,
si ça ne concourt pas à la réalisation de ce projet, est nuisible. C’est un
danger, ou au moins un retard, un atermoiement inutile. L’ennui est que, plus
timidement, dans mon coin, avec infiniment moins de moyens (d’où ma
discrétion), je pense la même chose. Son agressivité destructrice s’explique
par là. Le besoin de maintenir sous sa surveillance n’importe qui, du moment
qu’il sent un peu d’originalité virtuelle. La nécessité d’être en éveil tout le
temps, jour et nuit. Épuisant probablement. La haine maladive. La gentillesse
aussi, la générosité soudaine, comme une surprise qu’il se fait à lui-même. La
nécessité, la fatalité de n’avoir plus autour de lui que des larbins obscurs ou
des cons célèbres sans aucun danger. La rage folle consistant à jouer l’un
contre l’autre tous les écrivains, tout le temps (Roth pour écraser Kundera, en
ce moment ; Jean Rhys contre O’Connor à cause de mon penchant, ces
derniers mois, pour elle). N’importe quel écrivain, vivant, mort. Tout ça doit
disparaître. Vue de l’extérieur, subie péniblement, son attitude est absolument
nihiliste. La nullité de ce qu’il publie maintenant dans sa revue et sa
collection est également logique. Puisqu’il doit être le dernier. »
Et quant à moi je préfère fréquenter un
mort toujours vivant comme Philippe Muray, plutôt qu'un vivant déjà mort comme
Philippe Sollers.